“On était toutes les 4 dans des cartons remplis de trous pour respirer.
On a fait le voyage en voiture, ça faisait du bruit.
On a été nourries au centre de sauvegarde et maintenant, on va connaître notre vie d’hirondelles rustiques. Mais nous sommes orphelines, car tombées du nid trop tôt, il va falloir nous débrouiller plus que les autres ados de notre colonie…
On est donc venus nous chercher au centre, et on a ensuite posé nos cartons dans l’écurie vide.
Dans le noir, j’ai entendu des bébés appeler leurs parents, ça me rappelait mon enfance, ma vraie enfance, avant l’accident…
On nous a laissées un quart d’heure à écouter les vols furtifs, les cris des adultes, le bruit de la vie d’oiseau.
J’étais un peu énervée, j’en avais assez de ces cartons… et j’avais peur aussi. Lentement, dans mes veines, j’ai entendu l’appel de mes consoeurs.
Quelque chose vibrait dans mes plumes, mes rémiges piaffaient d’impatience…
J e ne les avais jamais essayées encore….
Mes frères et soeurs aussi s’agitaient et lançaient le tsic tsic d’interrogation et de ralliement. Puis le carton s’est ouvert. On est allées sur le sol de l’écurie, dans la pénombre.
C’était calme et étrange, un sas vers notre univers royal.
Une dernière sécurité avant le dévérouillage des portes de la sauvagerie pure.
Et puis les volets se sont ouverts et une grande lumière est entrée, et nous nous sommes précipitées à toute volée dehors.
Nous ne savions pas bien où nous étions, malgré quelques souvenirs qui revenaient : des bruits, des froissements, des cris…
Une d’entre nous est partie sous la grange, les autres ont foncé droit devant dans le bleu gris du ciel orageux.
Il y avait plein d’autres hirondelles alentour qui chassaient….
J e me suis réfugiée dans le laurier dortoir, l’arbre des moineaux.
Je voulais goûter au sel de la vie avant de m’élancer, prendre un peu de temps pour comprendre.
Voir le vent, entendre les arbres parler, sentir l’espace autour, mûrir mon projet de liberté….
Je sais que je dois apprendre quasiment seule à chasser, mais j’y arriverai.
Je criais : tsik tsik tsik : “je suis là, où êtes-vous ?”…
E t on me répondait au loin.
Alors j’ai déployé mes ailes faucilles toutes noires dessus et j’ai pris mon envol, et cela avait un goût de magnificence.
C’était une immensité devant moi : où aller, que visiter, que choisir, que faire ??? Oh ! Quel instant : peur et excitation me tenaillaient les tripes.
Au milieu du pré devant l’écurie où je me rappelle être née, se tenait une petite humaine au coeur d’hirondelle qui nous regardait voler.
Et puis une trentaine d’hirondelles ont survolé la terre et j’étais chez moi.
La petite silhouette terrienne, enchaînée à l’herbe : je sentais qu’elle m’aurait bien suivie.
Mais la liberté, cela se mérite, il faut un coeur sans faille, une témérité que les humains ont oubliée depuis le temps.
Elle m’a regardée, adulte, grande, libre, élancée, fière, encore un peu maladroite dans le vent que je connais si mal…
J’aurais aimé lui apprendre le vent.
Elle a repris son chemin, émue, heureuse, paisible, un peu plus libre, un peu plus hirondelle.
Et j’ai gobé ma première mouche toute seule, et le murmure du vent est mien.
Je suis en vie. Je suis libre.
Merci au Centre de Sauvegarde de Torsac de nous avoir sauvé la vie.
Annie Fugier La Voie de l’Hirondelle