Le rideau se lève sur le monde des hommes.
Premier acte : On nous l’a apporté il y a deux mois environ. La dame qui l’a trouvé lui a enlevé une énorme tique qui lui suçait la tête et allait le tuer. Il était quasiment mourant. On l’a bien désinfecté, le trou fermait l’œil dessous.
Nous l’avons mis dans une cage, parce que toutes nos volières sont déjà occupées ; nous avons recueilli plein d’oiseaux.
Coucoule a donc rejoint les autres plumes de la pièce commune, manquant de place, certes, mais il fallait d’abord lui sauver la vie.
Deuxième acte : Coucoule convalescent. Nous le faisons voler dans la maison, fenêtres fermées, avec Petitbedon, autre tourterelle sauvée tout bébé. Malheureusement, ce sont deux mâles. Il faut donc les séparer. Je commence à m’y attacher ; il revient de loin, il a peur ; je le regarde peu, il faut qu’il reste sauvage.
Troisième acte : Coucoule est guéri. Il fait un temps trop épouvantable pour le remettre en liberté. Nous devons attendre. Ne pas s’y attacher, tu es un être libre, bel oiseau gris. Il te reste une cicatrice sur la tête, toute petite, indiquée par une minuscule plume dressée.
Quatrième acte : Le climat change et le printemps est très en avance. Alors on te met dehors, dans ta cage, pour que tu repères les lieux : le pré où nous nourrissons les oiseaux sauvages : espace dégagé où l’on voit les chats et les faucons arriver de loin, en principe. La nuit, on te rentre, mais dans une pièce plus fraîche. Le dernier soir, je te laisse avec les autres au chaud, que tu te reposes un maximum, car l’épreuve de l’extérieur ne sera pas une mince affaire : la nature ne fait pas de cadeau aux faibles. Tu devras être fort, petit prince.
Le rideau se ferme sur le monde des hommes.
Dimanche 9 mars : Après toute cette transition, de repérages des lieux pour toi, près des autres tourterelles sauvages qui mangent non loin, nous posons la cage dans le pré et nous enlevons le fil de fer qui la tient fermée. Lentement.
Le temps est magnifique. Il est 13 heures.
Le rideau s’ouvre sur le monde de la nature.
J’ouvre la cage. Tu as bien mémorisé les lieux, tu es intelligent. Tu t’envoles de suite.
Tu vas d’abord te percher sur un poteau et tu regardes. On observe toujours avant de s’élancer dans l’espace. Longuement, posément, calmement : zénitude. Tu voles sur un autre poteau. Regarde. Respire, prend la mesure des choses. Puis tu voles sur la clôture plus loin et :
Miracle : Venue de nulle part, venue du ciel bleu, une tourterelle vient sur toi, t’enlève littéralement dans son énergie et te transporte vers le taillis voisin : ô joie.
D’où est-t-elle surgie, cette alliée qui te montre le chemin de sa liberté, de son amour, c’est la saison des amours ?
J’en pleure : il y a des beautés qui vous enlèvent au monde littéralement, qui vous secouent autant qu’une immense souffrance, qu’un deuil soudain. Des beautés qui chantent comme un jour de mariage.
Ces deux oiseaux gris-bruns restent dans le petit bois, saisissant l’instant présent : animaux libres loin des hommes.
Nous les regardons à la jumelle et ils s’envolent vers les grands chênes centenaires aux bras grand’ouverts.
Je me couche sur la terre, j’avais peur que tu sois seul, mais elle est venue, une amie.
Tout l’après-midi, j’essaierai de te revoir dans les visages des autres tourterelles des bois qui picorent dans ton pré.
Je chercherai la petite plume en désordre sur une tête. Mais la distance complique cela.
Alors je te verrai dans toutes les tourterelles libres.
C’est un immense bonheur, même si les restes d’un oiseau de ton espèce ont été trouvés ce matin, dévoré par un chat :
l’universel théâtre du monde sans fin.
Tu m’as un peu regardée avant de t’envoler, tu n’avais pas trop peur de nous, merci pour ce regard.
Coucoule est libre.

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Toujours les larmes , avec tes commentaires si bien racontes …..j imagine l instant de ce départ
Tant attendu par Coucoule ….. Mais l autre tourterelle qui l a mené vers le bois , ne serait ce pas
Son ou sa compagne qui l a attendu pendant le temps des soins ?? …..peut être ….alors qu elle
Fidélité ……car me semble t il , les tourterelles aussi forment un couple pour la vie …….
MERVEILLEUX et toi MERVEILLEUSE réparatrice des OISEAUX , Voir mon petit comment.
>
Bravo, quel travail admirable !! tu es un héros ma chère Anny, une mère pour tous ces amours !!
Merci !!
Super récit , magnifique j’en ai la larme à lœuil
Coucoule se souviendra de son sauvetage et reviendra te voir ça c’est certain
Les animaux n’oublient jamais ceux qui les ont sauvé